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Le 22. février 2012 à 18h03

Le Brusc Port du Brusc Les langues se sont déliées au sujet de la grue

Certains propos sont mal passés lors de la réunion publique de lundi, et certains ont souhaité réaffirmer leur attachement à la grue.

Bien qu'amoindrie, cette grue Bruscaine n'a pas fini de faire parler d'elle.

Bien qu'amoindrie, cette grue Bruscaine n'a pas fini de faire parler d'elle.

Certains n'avaient pas souhaité se déplacer pour cette réunion de lundi et d'autres n'ont pas voulu apparaître pour des "emmerdeurs" et se sont sentis bien esseulés pour prendre la parole devant un parterre de personnes ne partageant pas les mêmes visions du Brusc, notamment du côté des plaisanciers. Dans tous les cas cette grue a bien été présente et utile durant une soixantaine d'années et ce passé là ne pourra jamais être effacé de la mémoire collective.

La grue, un tas de ferraille?


La phrase prononcée par un plaisancier lundi soir évoquant "un tas de ferraille" n'a en tous cas pas été du goût de tout le monde. Frédéric Agostinetti, qui a pris sa licence de pêcheur voilà plus d'un an et qui reste un ardent défenseur des traditions et de l'histoire du Brusc, avait encore un noeud au ventre: "tout le monde ne voit que son intérêt, je regrette de ne pas avoir pris la parole, mais je voyais que c'était peine perdue, que cela ne servirait à rien. Mais ça me reste en travers et je regrette de n'avoir rien dit". Et Eric Feraud (le cousin du premier prud'homme), pêcheur depuis "à peine" trois générations de dire: "on verra comment tous ces gens réagiront lorsqu'ils verront leur tarification augmenter. Nous, on ne doit rien à personne, et on n'est pas à acheter. J'aurais voulu que cette grue reste en activité et, à choisir, j'aurais préféré garder l'aire de carénage au lieu de l'espace de vente". Car c'est vrai que tous les pêcheurs ne sont pas sur la même longueur d'onde sur le sujet, Fred et Eric de dire: "si un jour un pêcheur a une grosse avarie, il perdra son bateau sans cette grue, ce n'est pas la présence du prestataire sur l'aire de carénage "provisoire" qui l'évitera, il faut avoir conscience de cela. En plus il aurait vraiment été possible de lier l'aire de carénage à l'espace de vente". Un habitué du quai signale: "il faut bien voir que c'est leur outil de travail. On leur enlève un instrument, des avaries, ça arrive souvent". Et tous d'ajouter: "on voudrait avoir une grue en fonction ici sur le quai, pas pour la décoration, mais pour nous permettre d'effectuer des travaux urgents. Cela aurait été possible s'il y avait eu une vraie volonté derrière".
Florent Guigou, président d'Entre Bouasque et Bronde est catégorique: "on soutient à fond les pêcheurs, nous on veut voir évoluer le Brusc mais dans le bon sens, avec son patrimoine et ses traditions. On voudrait donc que la grue reste. On est derrière les professionnels. Et l'aménagement du port du Brusc se fait par des gens qui ne sont pas d'ici, qui n'y comprennent pas grand chose et il faudrait qu'ils aient plus de considération pour le contexte local".

Les langues se délient...


Léon Dodéro de signaler: "elle a au moins 60 ans, cette grue! c'est vrai qu'on l'a laissée pourrir, c'est dommage. Je me rappele que pendant un temps les pêcheurs en avaient assuré le fonctionnement. Personnellement je n'ai pas grand chose à dire, cela va dans l'air du temps, tout change".
Robert Canolle va, lui, plus loin: il a longtemps oeuvré pour le Brusc et à l'époque de l'ancien maire, il s'était battu pour le maintien de cette grue et du carénage déjà menacé de disparaître, et ce fut une bataille au sens propre du terme. A l'époque la victoire avait été du côté des pêcheurs mais la mobilisation était aussi plus grande: "Outre la grue, je regrette surtout la disparition de l'aire de carénage avec la vie sociale qu'il y avait autour. C'était un lien social au quotidien, c'est un coup de poignard dans la vie locale. Les gens qui s'activaient autour de leur bateau, on les a fait déguerpir. Cette aire de carénage entraînait une vie sociale qui ne sera remplacée par rien. Il faut voir aussi que les touristes viennent voir des gens du pays, pas autre chose. Et maintenant ils vont voir quoi? Car même dans une démarche touristique, cette décision est stupide. Il aurait fallu maintenir une grue fixe pour la sécurité de l'outil de travail des pêcheurs, qu'ils aient un moyen de levage en permanence et maintenir ce lieu de vie typique".
Fred Agostinetti de dire: "cette grue a servi à des générations de pêcheurs. Comment peut-on ironiser comme cela a été fait lundi soir? Qui sont-ils pour parler de la sorte? Tout le port perd peu à peu son identité, et j'attends de voir la prochaine carte postale du Brusc qu'on voudrait nous vendre".

"L'argent et toujours l'argent"


"Il n'est plus question que d'argent, c'est toujours la même chose qui revient. Certains parisiens se sont installés ici parce qu'ils aimaient le lieu tel qu'il était, et maintenant qu'ils sont là ils veulent tout changer. Ils croient qu'en créant des centaines de postes, la liste d'attente baissera, mais il ne faut pas se faire d'illusions, l'argent est le nerf de la guerre et les places passagères seront toujours privilégiées". Et certains d'ironiser sur le chiffre des 45.000 euros: "personne n'a été capable au préalable de nous chiffrer le coût d'une réhabilitation ou d'un démontage de la grue, rien, c'était soit disant en cours. Et on nous sort finalement le chiffre de 45.000 euros du chapeau pour faire peur, et visiblement ça a très bien fonctionné dans la salle: on avait l'impression qu'un casting avait été fait au préalable. A croire que tout était vraiment planifié, et cette somme nous semble bien dérisoire en rapport à tous les investissements qui ont été effectués et les couacs qui allaient avec, car il y aurait aussi à dire dessus". Et Eric Feraud de signaler: "Si on n'a rien dit lundi c'est parce qu'on se sent impuissant. C'est comme pour le dédoublement de la panne, on a dit et redit notre opposition, et au final elle est bien là. C'est comme ça et on verra bien dans la pratique les difficultés qu'on aura à manoeuvrer". Et Fred Agostinetti de pointer aussi certaines contradictions: "on fait Natura 2000 pour protéger l'environnement. Ok. On ne voit donc plus tous ces anciens qui faisaient vivre la lagune en s'occupant de leurs pointus, c'est désormais une zone interdite, à protéger. Mais ça ne pose aucun problème à personne que des centaines de nouveaux emplacements voient le jour, et que tous ces bateaux contribuent à terme à polluer toute la zone, cela est apparemment moins gênant".

Alors bye bye la grue?


Cette histoire de grue est symptomatique de l'évolution du village, où les nouveaux arrivants, les propriétaires de "bateaux en plastique" sont bien loin de l'attachement porté par certains locaux à l'identité du lieu, du port tandis que d'autres ont baissé les bras ou sont tout simplement en phase avec ces changements. Mais ce serait aussi trop simple d'établir une opposition entre locaux et nouveaux arrivants, et de mettre chacun dans des cases: c'est plus complexe. Fred Agostinetti s'inquiéte: "qu'est-ce qu'on va transmettre à nos enfants? Une marina, un quai tout propre où l'on n'osera plus marcher sous peine de le salir. Moi ce n'est pas ma vision, et ça m'attriste vraiment: il y aurait tellement à faire pour garder le pittoresque de ce coin, mais il faudrait aussi que certaines personnes réagissent et ne voient pas seulement leur intérêt pour monter au créneau. Car parfois on se sent bien seul et on a envie de jeter l'éponge". Florent Guigou de réaffirmer: "on est attaché au Brusc, on ne veut pas qu'on brade notre patrimoine".
Mais les évolutions ne datent pas d'hier ou de Ports Toulon Provence: c'est un long processus, lié au développement du tourisme et à de nouvelles politiques similaires dans de nombreuses villes du littoral. C'est aussi à mettre en parallèle avec ces petites morts lentes dans les villages qui perdent leurs pêcheurs, leurs agriculteurs, leur poissonneries, puis leurs boucheries...et ainsi de suite jusqu'au jour où ne restent plus que magasins de vêtements et cafés, loin de l'image originelle. Que le Brusc ne subisse pas ce vilain sort...

D.D, le 22 février 2012

Autres photos:

La flèche avait échoué près de la base nautique
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