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Le 9. juillet 2015 à 20h27

Six Fours Environnement Griffes de sorcière : faut-il vraiment les arracher ?

A la vue de tous ceux qui approchent le Grand Rouveau: ses flancs horriblement pelés.
Les arracheurs de griffes de sorcière sont de retour sur l'île. Ils nous expliquent leur action et nous rassurent!

Mais d'où viennent-elles?


Les Carpobrotus, communément nommés griffes de sorcière, sont des plantes vivaces aux fleurs jaunes et roses très appréciées dans les jardins des particuliers pour leur côté ornemental, mais surtout pour leur résistance à la sécheresse et au froid. Originaire de la région du Cap en Afrique du Sud , elles furent introduites au XVIIè siècle en Europe par les jardins botaniques. Aujourd'hui considérées comme des plantes invasives qui se développent de manière incontrôlée, elle font l'objet de toutes les observations et d'une campagne d’éradication sur notre littoral méditerranéen. Elles s'épanouissent sur les rochers littoraux, les pentes rocailleuses et les falaises côtières des îles situées entre Hyères et Marseille.
Jolies plantes résistantes hier, elles sont considérées aujourd'hui comme un fléau écologique responsable du déclin des espèces endémiques présentes sur notre territoire.

Et qu'ont-elles de si néfaste?


Annie Aboucaya, référent flore terrestre pour le Parc National de Port-Cros, nous explique l'effet néfaste des griffes de sorcière : «Nous constatons que sur les îles envahies par cette plante, certaines espèces tendent à disparaître comme la passerine hérissée ou l'ail petit moly.  Les griffes de sorcière prennent les ressources en eau et en sels minéraux, et modifient la nature du sol en déposant un feutrage (feuilles séchées), elles poussent plusieurs mètres par an, grimpent sur les arbres et les arbustes et les étouffent. Elles détournent à leur profit les insectes butineurs et empêchent la pollinisation des autres plantes. »
« Autre argument en faveur de l'arrachage, nous confie Mathieu Thevenet chargé de mission au Conservatoire du Littoral, c'est que la catastrophe viendrait du fait que si nous laissions faire, le cortège d'espèces associées aux plantes indigènes serait limité et à terme il n'y aurait plus qu'une seule espèce sur l'île ! »
La griffe de sorcière a aussi un grand ami qui l'aide à prospérer...le rat ! Ils sont nombreux sur l'île et se nourrissent de ces plantes gorgées d'eau puis disséminent les graines par leurs excréments, une véritable association de malfaiteurs ! 

Le Grand Rouveau: un site laboratoire


C'est ainsi que l'île du Grand Rouveau touchée par cette invasion fait l'objet depuis 4 ans d'une action d'arrachage manuel visant à maîtriser l'expansion du Carpobrotus qui menace les espèces autochtones. Une opération menée par le Conservatoire du Littoral, propriétaire de l'île, en collaboration avec la ville de Six-Fours qui a en charge la gestion du site et met à disposition des moyens et deux gardes du littoral, Paule Zucconi et Claude Maire.
Depuis le début de la semaine une équipe de professionnels procède à l'arrachage des griffes de sorcière, sur la partie sud de l'île cette fois. On y retrouve, Vincent Carrière, consultant pour l'initiative PIM (Petites Iles de Méditerranée), qui encadre le chantier , Mathieu Thevenet, chargé de mission au Conservatoire du Littoral, Annie Aboucaya, référent pour le Parc National Port Cros, Pascal Gillet chargé de mission Natura 2000, Marc Cheylan, chercheur au CNRS de Montpellier, Jean-Patrick Durand et Celia Pastorelli, gardes du Parc National des Calanques et Mathieu Polican de l'association Colinéo.
C'est là un véritable travail de coopération entre ces différentes instances réunies autour d'une même préoccupation : observer, étudier, échanger les savoirs et mettre en place des actions qui pourront être réutilisées sur les autres petites îles de Méditerranée. Une sorte de site "laboratoire" qui permet aux professionnels de voir si telle ou telle technique marche.

1300m2 de griffes de sorcière
arrachés en cinq jours


En amont, une équipe d'experts avait mis en place un « point zéro », un état des lieux initial avant l'arrachage sur de petits périmètres circonscrits permettant ensuite de suivre l’évolution des populations végétales avant et après l'éradication des Carpobrotus et d'en tirer un bilan objectif.
Et depuis lundi, cette équipe chevronnée aidée de bénévoles aura défriché en cinq jours quelque 1300m2 de griffes de sorcière sur un secteur d'un hectare. Leur présence sur l'île permet aussi d’effectuer « la repasse », c'est à dire un arrachage d'éventuelles nouvelles repousses dans chaque zone arrachée les années précédentes.
« Les griffes arrachées sont « roulées » sous forme d’andains et laissées sur site jusqu'à ce qu'elles sèchent et disparaissent. Mais l'effet de l'arrachage peut être pervers et provoquer une érosion du terrain » concède Mathieu Thevenet si nous insistons.

«  Il ne faut pas être angoissé
dès qu'on touche à du vivant »


Il est vrai que, vue du continent, cette opération peut apparaître inesthétique, brutale, voire trop radicale. Elle inquiète la population.
Nous avons donc interrogé Jean-Laurent Felizia, secrétaire départemental de EELV , conseiller municipal d'opposition au Lavandou, tête de liste pour les Verts aux prochaines élections régionales de décembre, et surtout paysagiste de métier, sur la légitimité d'une telle opération : «  Il ne faut pas être angoissé dès qu'on touche à du vivant, la nature est très forte. En l'espèce, je pense que l'île du Rouveau que je connais bien est une niche écologique fragile mise en difficulté par les griffes de sorcières. L'arrachage peut à terme favoriser la reconquête de la flore autochtone. Je suis confiant, le limonium reprendra et il n'y aura pas d'érosion. »
Il évoque un code de conduite européen sur les plantes invasives drastiquement bannies (à tort) dans certains pays : « en France heureusement , pas de conclusion hâtive et abrupte. Nous bénéficions d'un statut mitigé en fonction des zones où se développent ces plantes. Elles peuvent être néfastes, comme sur le Rouveau, mais bénéfiques en certaines zones comme pour la dune du Pilat. Le Grand Rouveau est une île stratégique pour l'écosystème et je suis certain qu'en arrachant ces plantes invasives elle conservera son identité de paysage»

Amis inquiets ou révoltés par l'actuel spectacle du Grand Rouveau, soyez rassurés, si la vision de notre belle île du Grand Rouveau fait peur aujourd'hui, on nous promet qu'elle retrouvera son lustre d'antan et sa population de plantes méditerranéennes. On voit déjà quelques buissons de plantes patrimoniales repousser de ci de là !
Oui, la nature est forte et reprend ses droits !

A.I, le 09 juillet 2015

Autres photos:

En vert les repousses de plantes méditerranéennes. En marron, les griffes de sorcières arrachées il y a deux ans A gauche, l'érosion après arrachage A droite, ça repousse Cette année l'action porte sur la partie sud de l'île. Les griffes arrachées sont « roulées » sous forme d’andains
En vert les repousses de plantes méditerranéennes. En marron, les griffes de sorcières arrachées il y a deux ans